Pourquoi ne me regarde t’il pas?

 

 

 

 

Quelques éléments de compréhension

Face à ce type de comportement, il apparaît prudent d’écarter au préalable l’hypothèse d’un trouble neuro-visuel (par un bilan orthoptique notamment) pouvant être à l’origine d’une atteinte de la motricité conjuguée des yeux. En cas d’absence d’un tel trouble oculaire avéré, plusieurs pistes de compréhension nous guident actuellement pour expliquer l’évitement du regard de certaines personnes autistes :

  • Éviter une surcharge sensorielle :

Le mouvement rapide des globes oculaires et autres éléments du visage de l’interlocuteur (paupières, sourcils, lèvres…) peuvent constituer  un « trop plein »  d’information, difficile à traiter pour la personne autiste.

« Il se pourrait que les problèmes de contact oculaire (…) résultent en partie d’une incapacité à supporter le mouvement des yeux d’un interlocuteur » (Grandin, 2014)

Une hypersensibilité visuelle (Ashwin, Baron Cohen et al., 2009) peut être suspectée, entrainant une tolérance moindre à l’exposition de certains stimuli du quotidien (couleurs, contrastes, mouvements des éléments environnants…).

  • Éviter un effort de concentration trop important :

Initier et maintenir le contact visuel peut s’avérer particulièrement coûteux au niveau attentionnel, comme le décrivent fort bien plusieurs autistes de haut niveau.

« Vous pouvez avoir mon contact avec les yeux ou vous pouvez avoir ma concentration » (Chris Bonnello(10)

« J’écoute et me concentre mieux quand je ne fais pas de contact avec les yeux » (Erin McKinney(11))

  • Éviter l’anxiété :

Établir un lien de façon si « intime » que de plonger son regard dans celui d’autrui peut impliquer un aspect anxiogène, parfois décrit par les personnes autistes peinant à supporter cette implication relationnelle.

« Il m’a fallu attendre vingt-cinq ans pour réussir à serrer la main et à regarder quelqu’un en face » (Grandin, 1986)

  • Autres aspects à considérer :

Nos observations au sujet du regard ne se restreignent pas qu’aux aspects d’évitement mais peuvent également concerner tout comportement atypique et inadapté comme le surinvestissement du canal visuel ; la fixation intense d’objets ; l’appétence marquée pour certains reflets, contrastes ou luminosités ; la posture favorisant la prise d’information par la vision périphérique (regard de côté, tête penchée, auto-stimulation visuelle…).

Là encore, nous pouvons formuler plusieurs hypothèses à propos de ces manifestations comportementales. Il peut s’agir d’une recherche de sensations et/ou d’une hyposensibilité visuelle (Dunn, 2009 ; Miller, 2007) ; d’une façon de s’apaiser tout en se coupant ainsi d’un environnement trop envahissant ; d’une perception particulière, hyper-focalisée sur certains détails (Mottron, 2004)…

(Effectuer un Profil Sensoriel auprès d’un praticien formé aux particularités sensorielles des TSA (le plus souvent un psychomotricien ou un ergothérapeute) permettra un éclairage des troubles, étayé sur un modèle théorique, ainsi que des préconisations d’aménagements).

La difficulté peut être d’autant plus grande en cas de déficience intellectuelle associée. En effet, la personne autiste, particulièrement démunie en matière d’interprétation contextuelle et de maniement des codes sociaux, peut ne pas comprendre l’intérêt de regarder son interlocuteur dans les yeux.

Enfin, plusieurs études (Belin et al., 2004 ;  Zilbovicius et al., 2016) montrent chez certaines personnes TSA l’altération d’une zone spécifique du cerveau responsable de la perception du visage d’autrui.

Malgré le nombre grandissant d’études décrivant les atypies au niveau de la perception visuelle (Chokron et al., 2014), aucun modèle explicatif ne permet d’établir une causalité claire avec les déficits de la cognition sociale qui s’appliquerait à toutes les personnes TSA.

 

 

 

 

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